L’histoire que je vais te conter est une histoire vraie.
Elle a pris tout au long des jours et des années diverses formes et tu peux, tout en l’écoutant ou en la lisant, voir si, pour toi, dans ta vie à toi, elle a un écho, une résonance, si elle te touche quelque part, même très profondément.
Je l’ai observée. Je l’ai vécue et vue vivre.
Son nom est Tatou, un petit hérisson très mignon, doté d’un petit museau mutin, espiègle, vivait à l’orée du bois. Tu peux lui donner un autre nom si tu veux, le tien ou celui d’un ami que tu reconnaitrais dans cette histoire.
Il sortait de son nid lorsque le jour s’assombrissait afin d’être dissimulé dans les ombres du soir.
Son regard vif auscultait les moindres détails de son environnement.
Il percevait dans les épines de sapin entremêlées, des moucherons collées à la poix. Les araignées tissant leurs toiles argentées ne le laissaient pas indifférent.
Il s’émerveillait quand un rayon de lune, déposait quelques gouttes de lumière brillantes et qu’elles éclataient, comme si un trésor jaillissait du néant.
Et surtout, s’il pouvait de sa petite langue râpeuse attraper une araignée, il s’en faisait un délice.
S’aventurant dans le sous-bois, son odorat le conduisait vers quelques fraises oubliées des oiseaux, ou même, merveille, vers une framboise dont l’odeur douce, sucrée et tendre lui disait toutes les tentations en une seule lapée. Hum que c’était bon.
Tatou était assez content de d’endroit où il vivait. Cependant dans un coin de son petit cœur, il était insatisfait et ressentait le besoin d’autre chose.
De quoi ?
Il était incapable de le préciser, mais il reconnaissait le besoin de se mettre en route, en quête d’autre chose.
Aussi un soir où la lune éclairait parfaitement le sentier de terre, il prit son baluchon et partit à l’aventure…
Sur son chemin, il croisa de jolies campanules, qui clochaient de la tête en sa direction. Il les salua poliment.
Plus loin, un ver, nu et solitaire se tortillait devant lui. Ni une ni deux : il le croqua et en fit un bon repas.
Rassasié il se reposa et écouta le silence de la nuit.
Soudain un cri affreux le tourmenta jusqu’au plus profond de lui-même. Le cri se répéta, fort et strident à la fois. Tatou se ferma sur lui-même pour se protéger et telle une boule, il échappa à l’attention d’un énorme rapace qui cherchait de la chair fraîche pour son souper.
Le cœur battant à tout rompre, Tatou attendit le poids du silence pour aller se réfugier sous une énorme fougère.
Ouf le danger était passé.
Le danger était passé pour d’autres que lui aussi …
… Derrière la fougère, tout au fond, une grosse racine se tordait. Elle abritait l’entrée d’un terrier, duquel émergeaient progressivement des petits museaux allongés. C’étaient des renardeaux. Roux et blancs sur le poitrail, ils prenaient de l’assurance, alors que tout danger était maintenant écarté.
Ils sautillaient par-dessus la racine, plongeaient dans la fougère et boum, culbutaient jusqu’à renverser Tatou.
Quel culot ! Celui-ci s’arqua et dressa ses pics en avant. Gare à vous, ne me touchez pas cria Tatou.
Aïe, aïe, aïe, les renardeaux reculèrent indignés devant une telle méchanceté et Tatou poursuivit son chemin avec l’assurance d’avoir bien piqué celui qui se piquait de s’amuser de lui !
Toutes ces péripéties l’avaient finalement bien fatigué. Epuisé, il chercha un abri pour se reposer et attendre un jour plus propice pour poursuivre son périple dans le monde, qui, apparemment n’était pas si folichon que ça.
Mais comment reculer ? comment retourner dans l’antre protectrice ? Ce chemin et ce temps étaient définitivement perdus.
La lune avait disparu, une brume épaisse rendait les fourrés obscurs, et la brise agitait les arbres.
Tatou perdait toute notion du temps et n’avait plus aucun repère.
Où se coucher, vers qui se réfugier, que faire ? Ses petites jambes ne le portaient plus…. L’humidité lui bouchait les narines …
Ses petits yeux embués de larmes, Tatou sentit son cœur battre à tout rompre, il se sentait terriblement seul et vulnérable. Le monde était grand et lui si petit.
Sa belle assurance d’aventurier l’avait tout à fait quitté… Le cri de son cœur déchirait le silence de son âme… Au secours, horreur, je suis seul, j’ai peur….
Mais aucun écho ne lui renvoyait ce que son cœur ressentait. Seules des pensées noires et tourbillonnantes s’accrochaient les unes aux autres et l’entraînaient dans un carrousel fou. Tatou aurait voulu que tout s’arrête, que le monde revienne là où il était avant d’entreprendre son voyage insensé …
Epuisé il s’endormit….
Une torpeur l’envahit et toutes ses facultés furent anesthésiées.
Ses réflexes disparurent.
Sa mémoire sombra.
Son intuition mourut ainsi que son intelligence.
Il n’était plus qu’une boule roulée-boulée, entreboulée sur elle-même, le centre du monde sous son nez.
Il ne voyait plus rien d’autre que l’intérieur de sa boule… et encore…
Un rayon de soleil chaud et doux le toucha. Il ne réagit pas. Même sa mémoire anesthésiée ne lui rappelait pas la douceur du temps jadis.
Le murmure d’un ruisseau chantonnait à quelques pas de là. Il ne bougea.
Un oiseau au doux plumage chanta.
Tatou restait fermé sur lui-même.
Oh ! s’écria Fanny, regarde le petit hérisson qui s’est réfugié sous le banc.
Oh qu’il est joli, comme il a de jolis piquants, noirs, bruns, gris et blancs, c’est ravissant.
Et regarde, on aperçoit ses petites oreilles, ses petits poils, il est très délicat, on dirait encore un bébé.
Je veux m’en occuper, lui donner du lait (non Fanny, jamais de lait pour les hérissons !) et des bonnes choses à manger dit Fanny, quel amour de petit hérisson, je l’aime déjà.
Aïe, il m’a piqué, oh mais il est méchant ! vilain, vilain, vilain hérisson.
Mais non reprit sa maman, il n’est pas méchant, mais il a peur, et parce qu’il a peur il dresse ses piquants pour se défendre.
Mais je ne lui veux pas de mal, je veux l’aimer, lui dire de gentilles choses, l’aider à retrouver sa maison, pleure Fanny.
Oui ma chérie, je sais, mais lui ne le sait pas.
Comment est-ce que je peux le lui dire, alors, reprend Fanny. Maman lui explique alors, que d’apprivoiser le cœur d’un petit hérisson prend du temps, de la douceur, beaucoup de douceur et que le petit hérisson a le choix :
Ou bien il reste déterminé et refuse sa gentillesse, alors il continuera de piquer et de s’enfermer sur lui-même, ou bien il s’ouvrira progressivement et acceptera les cadeaux de Fanny et alors tout en lapant du lait (non Fanny, pas de lait !), en grignotant la viande hachée préparée à son intention, il verra que le monde n’est pas si méchant et qu’il offre de belles surprises.
Tatou pendant tout ce temps avait voulu disparaître sous terre tant il avait eu peur. Ses pics dressés, cherchaient à piquer à qui mieux-mieux. La peur le rendait presque sourd et il ne voulait surtout rien voir.
Cependant la douceur de la voix de Fanny pénétrait son cœur. Elle était comme une caresse et cela le brûlait tant c’était doux, sucré comme du miel.
Tatou aurait voulu pleurer, crier : laissez-moi seul, j’ai peur, je ne vous connais pas. En même temps que son petit cœur s’ouvrait à la caresse de la voix, son petit nez sentait des odeurs alléchantes, mais lui, Tatou, mettait toutes ses forces à dresser ses piquants encore plus drus, encore plus forts … et pic et pic, pendant que son cœur se craquelait sous la voix mélodieuse, et qu’il devenait tout mou, tout chaud au fond de sa boule.
Des larmes et un cri se rejoignirent, Tatou sentit la mort arriver. C’était trop : toute cette douceur et toute cette dureté en même temps, cela devenait insupportable.
Mou, mouillé, sanglotant à l’intérieur, dur, méchant à l’extérieur …
Tatou devait choisir : découvrir l’amour qui lui faisait peur ou se rassurer dans son manteau de colère qu’il connaissait si bien.
Quel choix ferais-tu à sa place ?
Ou l’as-tu déjà fait ?
Es-tu seul et solitaire ou as-tu ouvert la porte à l’autre, voire même à l’AUTRE au Tout Autre ?
Vivre sans souffrance est un leurre, cela ne se peut… pour personne, même si tu restes seul dans ta grotte, la souffrance frappera au rocher et son écho est terrible.
Alors ? …